La forêt, les mines et l’obstination du dessin, 2021

Emmanuel Henninger se consacre à temps plein au dessin depuis deux ans, et son travail s’intègre naturellement dans l’exposition Herbes folles, qu’a organisée Viktoria von der Bruggen au CEAAC . Ce jeune artiste, qui présente plusieurs pièces impressionnantes dans le cadre de l’exposition, se confie.

“Je vis à Mulhouse, et à l’occasion d’un voyage en Allemagne, j’ai pu aiguiser ma sensibilité à l’environnement et aux forêts primaires en particulier. Je suis intéressé d’exprimer l’impact de l’homme sur son environnement, et en quoi il témoigne de l’état d’une société. Quelles sont les transformations en profondeur d’une époque: voilà qui me stimule.

Cette première exposition au CEAAC, collective, s’inscrit dans le cadre de la Regionale. Je présenterai parallèlement d’autres pièces à T66, à Fribourg, en Allemagne, et cette exposition-là sera prolongée jusqu’en juin 2021.

La mine à ciel ouvert de Hambach, en Allemagne, est la plus grande d’Europe. Je l’ai prise pour sujet pendant dix mois. C’est un paysage marqué par l’humain. Le paysage en huit panneaux, présenté au CEAAC, montre, par des espaces en réserve, ce que transforme l’homme. Plusieurs niveaux de lecture se juxtaposent: le cadre forme une ligne, l’horizon dessiné une autre, la route pour les camions, une troisième encore.

J’ai travaillé de manière classique, à l’encre de Chine, en hommage aux gravures anciennes. Je souhaite rester dans une tradition de noir et blanc.

Les forêts, des espaces riches de contradictions
La dualité des forêts, qui sont chargées de vie et d’autres espaces de non-vie, mérite d’être présentée. Je souhaite dessiner les paysages marqués et abîmés. Explorer les aspects sociaux et politiques, la perte de la biodiversité. Aujourd’hui les habitants manquent de repères, de récit, et ce récit doit pouvoir être localisé géographiquement.

J’ai centré une partie de mes recherches sur les activistes des Zones à défendre (ZAD). Ces zones constituent des petits mondes libres des forces dirigeantes, de la hiérarchie. Quels sont les rapports de domination qui s’exercent à l’encontre de ces lieux? Je veux porter un questionnement et saisir l’atmosphère de ces lieux.

Une cartographie des paysages écocides

Mon objectif pourrait se traduire tout à la fois en une cartographie et une géographie des paysages écocides. Pourquoi ces territoires sont transformés. Cela sous-tend des translations sociales comme la délocalisation de villages, qui contribue à détruire les liens et crée une violence sociale.
Les mines de lignite figurent parmi les principales sources d’émission de gaz à effet de serre. On touche là un problème de de santé publique avec la dispersion de particules fines. A Hambach on compte 1300 habitants, mais plus d’entreprises. La mine contraint à un seul choix possible, qui balafre les paysages et détruit aussi leur avenir.

La lignite, un charbon destructeur

La lignite est une forme de charbon, primaire et sédimenté, une mauvaise qualité de charbon. Ainsi le charbon, synonyme de progrès, l’est aussi de destruction alors que l’objet renvoie également à la symbolique artistique, avec les peintures pariétales. Plus tard, au XIXè, le charbon a été symbole de croissance économique et a permis de produire de l’électricité. Son changement de statut traduit la fuite en avant provoquée par le progrès, qui détruit la beauté de la nature. L’Allemagne cependant a arrêté le nucléaire et est actuellement en phase de décarbonation.

J’ai eu également l’opportunité de me rendre à Notre-Dame-des-Landes et à Bure. Mon objectif est de travailler sur des récits en local, dans un contexte de mobilisation et de sens, pour donner espoir. Je ne souhaite être ni dans le naturalisme, ni dans le documentaire. Je ne prends pas parti . Comment produire un imaginaire sur la base d’une expérience locale ?
Suite à l’observation de la mine de Hambach, je vais investiguer la forêt primaire du même lieu, âgée de 12000 ans. Des Zadistes y vivent. J’essaierai de rendre compte de ce qui existe, de la richesse de la biodiversité.”

Hélène CASCARO, février 2021

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